![]() Premiéres visions de Perse, un désert d' Iran haut en couleurs ! Les premières visions d'un Iran haut en couleurs ! La tour Milade, sur les hauteurs de Téhéran A Téhéran, l'image de Layatollah Khomeiny n'est jamais bien loin, Ici il veille sur la foule, en haut à droite de l'écran. Qom, la ville sainte universitaire des shiites iraniens plus de photos de ce beaux pays sur : http://www.fotoamin.com/ Une femme lie le Coran, sur la tombe d'un défunt La lumière du matin éclaire l'intérieur du tombeau des maitres soufis, Multan La mosquée royale, Lahore Un mariage traditionnel, Multan Le tombeau des maitres à Uch Sharif, le sud du Pendjab Une couronne de fleur, sur la tombe des maitres soufis, Uch Sharif Photos de Ludovic Zahed © 2008 | All rights reserved |
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AIDS orphans and HIV+ children deserve to laugh and be loved like any
other child !
![]() Les textes de ce blog, retravaillés, sont désormais disponibles aux éditions l'harmattan (cliquez ici)
PERSE . . . Sur les traces de Darius
Et d' Alexandre le grand
Jamais je n’aurais
passé une frontière aussi sereinement que je
viens de le faire pour la
frontière Iranienne. Les douaniers n’auront
même pas contrôlé mon sac de
voyage. Et moi qui avais même dissimuler à
l’aide d’un mot de passe, certains
des fichiers sur mon ordinateur ! J’ai notamment
caché tous les dossiers
concernant le projet du tour du monde, tous les dossiers concernant de
près ou
de loin la prévention face au Sida. Quoiqu’il en
soit, le poste frontière est
entièrement désert. Seule derrière un
comptoir, une femme d'âge mur, toute de
noir vêtue, me vend un jus de fruit. A
l’extérieur, je prends un taxi. C’est le
seul moyen de transport vers Machhad : la Mecque shiite avec sa
mosquée
« Haram », ses minarets et ses
dômes en or. Machhad est également
tristement célèbre pour être
l’une des villes iraniennes où se trouve
l’une des
plus grandes concentrations de réfugiés en
provenance de l’est. Ils fuient la
guerre et la misère d’un pays
dévasté par trois
générations de combats acharnés.
En bas du poste frontière,
c’est un petit village de montagne : les premières
femmes habillées de la robe
Aba traditionnelle, le premier mollah à la barbe impeccable
taillé, turban
blanc et kamis shiite de rigueur. C’est officiel, je suis en
république
islamique d’Iran. Plus en aval, ce sont des montagnes jaunes
dorées à perte de
vue. Un paysage inédit pour moi que nous traversons durant
des kilomètres, sous
un superbe soleil qui me réchauffe le cœur et
m'enivre l'esprit. C'est un bon présage
pour ce retour sur ce qui est selon toute vraisemblance, la terre de
mes très
lointains ancêtres. Je grignote quelques fruits secs et je
tente de ne perdre
aucune des visions de ce merveilleux panorama qui s'offre à
moi. C'est comme au
cinéma ! Ce périple est pour moi un songe. C'est
un rêve que je vivrais éveillé
des mois durant encore, si tout va bien. Quelques cent
kilomètres plus au sud,
nous traversons la petite bourgade de Kouchan,
la croisée des chemins entre
Téhéran et Machhad. Nous prenons la route
de l'est, tout là-bas à l'autre bout de cette
région que l'on nomme le
Khorasan, c'est l'Afghanistan. Telle la terre du Mordore, où
Djinns et Ifrites
marchent en plein jour parmi nos frères humains, parait-il.
Une contrée
proscrite !
Nous arrivons à
Machhad vers les coups de 15h, tout semble aller pour le mieux. Sauf au
moment
de retirer de l'argent dans une banque. Rien à faire, c'est
absolument
impossible. Depuis la récente affaire du
nucléaire iranien, toutes transactions
bancaires sont interdites entre l'occident et ce sacro-saint
« axe du mal »,
dont l’Iran serait l’un des piliers. Depuis que
j'ai quitté la France il y a bientôt
trois mois, l'escalade de confrontation a gagné de plus
belle. Il n'en reste
pas moins qu'aujourd'hui en Iran, mes deux cartes de crédit
ne sont plus que de
vulgaires bouts de plastiques sans aucune valeur ! Bien entendu, je
n’ai retiré
aucun argent coté turkmène : mes
récentes expériences de raquette à la
frontière Kazakhe notamment, m’en auront
dissuadé. Nous passons plus d'une
heure le taxi est moi-même à faire toutes les
banques de la ville. Rien à
faire, la réponse est inéluctablement la
même : « nous sommes
désolé
monsieur, nous aimerions sincèrement vous aider mais c'est
votre pays qui nous
l'interdit... » Ok, si ça ce n'est pas un
soufflet ! Je finis par
avoir par avoir l'idée d'appeler le consulat de France
à Téhéran. Il s'avère
qu'à mon plus grand bonheur une solution administrative
existât.
Monsieur le consul a
été d'une diligence remarquable. Mes parents
(rongés de soucis, les pauvres)
ont viré des fonds depuis mon compte bancaire sur Paris, en
passant par le quai
d'Orsay. Toute cette histoire n'est pas passé
inaperçue aux yeux du consul :
« ah oui, parce que vous venez du
Turkménistan... D'accord. Et avant cela
l'Europe, en train... D'accord. Et vous débarquez en Iran
sans le sou… Je
vois. ». Monsieur a du me prendre pour un pauvre
fou. Lui et sa secrétaire
font tout de même l’effort de tailler causette avec
le pauvre vagabond que je
suis. Il me parle de Paris, de notre TGV. Du confort qu’il y
a à voyager en
France, notre beau et grand pays. Je m’y croirais
presque ! J’ai même du
mal à quitter les locaux de ce consulat qui flaire si bon
cette atmosphère
typique d’une administration française dont jamais
je n’aurais cru qu’elle me
manquerait autant.
C’est ainsi qu’en
vingt quatre, tout sera réglé m'assure le consul.
En attendant demain, le temps
que les fonds parviennent jusqu'à Machhad, la
secrétaire du consul me confie
les coordonnées d'un français résidant
justement à deux rues de l'hôtel où je
compte passer la nuit (le moins cher de toute la ville). Au
téléphone, le
professeur Jean-Loup se propose immédiatement de me
dépanner d'un peu d'argent,
de quoi régler le taxi, la nuit d'hôtel et de quoi
manger. Tout semble de
nouveau pour le mieux, dans le meilleur des mondes. Seulement, une fois
de
retour à l'hôtel, les choses se corsent un
tantinet soi peu. Je trouve à la
réception Meriem, une femme iranienne qui parle un
français impeccable. Le chauffeur
de taxi l'a fait venir afin de nous servir de traducteur. Je
n'étais pas au
courant. Je comprends vite pourquoi. Cet homme tout sourire, plein de
sollicitude durant toutes ces heures, se transforme en un instant en un
opportuniste déterminé à obtenir trois
fois la somme que nous avions convenu au
départ, à mon arrivée à la
frontière ! En fait il veut tout l'argent que le
professeur m'a généreusement
prêté. Je reconnais qu'il m'a aidé et
que cela
mérite salaire, mais cent dollars c'est clairement
excessif ! Sans compter
que si je lui donne tout cet argent, je me retrouverais de nouveau
à la case
départ, et ce bougre le sait pertinemment. Je le
soupçonne d’ailleurs de
vouloir de nouveau me soutirer tout mon argent, me proposer de
m’en prêter, de
revenir le lendemain me demander de le rembourser avec encore plus
d’argent. Et
ainsi de suite ! Ce chacal à senti
l’odeur de la chaire fraiche. Pour ma
part j’ai vue clair dans son manège et il est hors
de question, hors de
question que je me laisse faire ! Chez nous ce genre de
stratagème porte
un nom. En France l’on nomme cela du racket ; un mot
simple, concis, qui
résume parfaitement la situation présente.
Au début, Meriem ne
comprend pas bien mon indignation que j'ai de plus en plus de mal
à contenir.
Je lui explique l'affaire en détail. Elle comprend
rapidement que la version de
son ami le taxieur est mensongère. D’ailleurs,
lorsque je luis demande comment
au juste elle a rencontré un tel
énergumène, se regard se fait vitreux, comme
une nausée passagère. Ici en Iran, je comprends
très vite à quel genre de
rapports sociaux les individus se prêtent dans leur
quotidien. Le secret semble
tenir une grande part dans leurs relations interindividuelles. Dans
quel genre
de soirée lubrique cette jeune femme célibataire
a-t-elle croisé la route de ce
Satire sans scrupules !? Peu importe, car rapidement c'est un
renversement
de situation complet. Meriem prend à parti
l'énergumène en question et lui
explique je suis un « gharib » (un
expatrié, mot
tiré du vocabulaire arabe dont l'iranien
est truffé). C’est là une expression
dont j’ai croisé la route en Russie
déjà.
Meriem insiste sur le fait que l'hospitalité iranienne
aurait voulu qu'il
m'aide sans réclamer d'argent pour cela. Rien n'y fait. Le
taxieur s'obstine.
J'ai l'impression qu'il en fait une histoire personnelle. C'est sa
fierté
d'homme iranien qui l'empêche de céder, de
reconnaitre qu'il a eut tort. Le tenancier
de l'hôtel me rassure. Il me certifie que je pourrais dormir
et manger sans
payer. Je réglerais la note une fois mes soucis
résolus. Je suis très touché de
cette attention. Toutefois, le problème présent
reste entier.
Près de deux
heures de tergiversations plus
tard, je suis épuisé. Meriem s'excuse
« au nom du peuple iranien »,
me dit-elle. Oui bein écoute, en ce moment le peuple iranien
et ses bonnes
intentions c’est tout de même le dernier de mes
soucis. Je suis épuisé, cela
dit jamais, jamais je ne céderais à ce vieil
escroc. Tout de même, c'est
frappant cet esprit de cohésion nationale. C’est
presque comme un besoin de se
justifier aux yeux du monde. Il n'en reste pas moins que notre
énergumène n'en démord
pas. Il me traite d'escroc de touriste, de
« khabite ». Je ne cherche
plus à le convaincre. Je demande à appeler la
police afin de nous départager.
Là, le taxieur devient blême le temps
d’un instant. Toutes ces réactions
inconscientes que l’individu ne contrôle pas.
C’est passionnant d’observer tout
cela. Toutefois, blême il est mais blême, il
continue à s'obstiner.
Lorsque les deux
officiers de police arrivent enfin, je ne dit pas un mot. C'est
à peine si je
les salut à l'iranienne : on se lève, la main
droite sur le cœur, une légère
courbette et un « Salam ».
C’est comme ça, tout le monde procède
ainsi. Puis je m’assieds, les yeux fermés et
j'écoute. Le taxieur plaide avec
virulence. Meriem et le tenancier de l'hôtel me servent
spontanément d'intercesseurs.
Je pense à tous ces touristes qui ce sont
retrouvés dans la même situation que
moi en ce moment. Ont-ils bénéficié de
la même aide de la part d’iraniens bien
intentionnés ? J'ai beaucoup de chance. Ce taxieur
est très clairement un opportuniste
comme on pu en rencontré partout. Mais dans un autre pays,
il est fort probable
que personne n'aurais pris la peine de me venir en aide. Les policiers
tranchent sans conteste en ma faveur. Je comprends quelques bribes de
conversation. L'un des deux policiers se moque même du
taxieur qui veut me
faire payer autant d'argent. Ils me conseillent de ne pas lui
régler plus de
cinquante dollars. Je sors de mon mutisme et je verse soixante dollars
au
taxieur, afin d'avoir la paix et la conscience tranquille.
J'espère également
qu'ainsi, il ne sera pas frustré au point de revenir me
solliciter (ou
m'agresser, qui sait) un jour prochain.
L'énergumène lubrique,
indigne, sans honneur aucun, finit par quitter les lieux. On m'offre
à diner.
De la cuisine iranienne typique. C’est délicieux.
Puis je file dormir aussitôt.
Un peu humilier de tout se remue-ménage, je suis toutefois
encore très enthousiaste
à l'idée de découvrir l'Iran et
son peuple. Avant de
sombrer dans un sommeil
réparateur, je repense à toutes les informations
précieuses, à ces schémas que
je viens d'entrevoir à propos de la structure
sociétale iranienne. C'est
fascinant ! Ici, le vol et le mensonge sont un crime d'état.
C’est un crime
contre ce « théos »
tout puissant, omniprésent et en même nulle part
précisément. Et il m'est idée
qu’ici les escrocs existent, ils font simplement
mine de vous aider. Ensuite seulement, ils vous volent. Cela m'incite
à être
encore plus prudent qu'ailleurs. A bien demander ce que les gens
attendent en
retour de l'aide qu'ils semblent si prompts à tous vous offrir ici en Iran. Je m'adapterais,
ça je sais faire. Etre
vigilent, tout en passant pour le dernier des ingénus.
D'ailleurs, n'est-il pas
dit : « tel des agneaux nous vous enverront parmi
les loups ? » Alors,
ainsi soit-il.
Le lendemain matin je
me lève un peu avant l'aube. Je file à la
première heure à la banque
récupérer
mon argent. Mais je ne m'attendais pas à causer une telle
effervescence ! Cette
succursale de la banque
« tidjarat »
(littéralement, la commerçante)
est la plus grande de la ville. Me voilà au milieu de cet
open space, une bonne
demi-douzaine de banquiers iraniens en costume cravate autour de moi.
Ils sont
intarissables, tout y passe ! Les monuments
français les plus connus, les
plats culinaires les plus appréciés an France,
les joueurs de l’équipes de
France (tous, sans exceptions). Pour un non amateur de football endurci
tel que
moi, c’est à la limite du supportable. Mais une
partie de moi trouve là encore
ce genre de réactions dites
« typiques », fascinantes.
C’est toujours,
invariablement, le même genre de réaction que le touriste français
provoque à l’étranger. Je finis tout de
même par récupérer mon ragent. Je
quitte la banque après avoir salué tout le
monde. Les banquiers enchainent les courbettes et les Salam. Je
comprends qu’il
faut que je sorte de l’établissement sinon ils
n’auront de cesse de faire
preuve de ce fameux
« tahrouf » : une
courtoisie poussée à
l’extrême,
version iranienne, ce lègue de la Perse antique dont les
gens d’ici semblent si
fiers.
Puis, je passe trois heures
au cyber café du coin. La prochaine étape du
tournage du documentaire c'est
L'inde. C'est beaucoup de travail en perspective et pas mal d'heures
devant
internet afin de préparer tout ça : prendre
rendez-vous sur place avec chacun
des partenaires, acheter les billets d'avion, réserver les
hôtels pour moi et
pour Sami Battikh (le reporter bénévole qui me
suis sur certaines de mes
étapes, en prenant généreusement sur
ces jours de congés). Ici je suis un
travailleur nomade. Mon père m'a dit un soir au
téléphone qu’il était fier
de
son fils qui avait pris son bâton de pèlerin.
Aujourd'hui j'aurais bien eut
besoin d'un bâton magique : connexion internet sans fil, GPS,
téléphone... La
totale ! Un Gandalph moderne ! Il faudrait que je songe
sérieusement à arrêter
le thé de bon matin. Du coup je nage en pleine
science-fiction... Il est vrai
toutefois que chez moi à Sevran près de Paris,
j’étais bien pour travailler.
Dans la salle de séjour, j'avais
aménagé un petit coin dédié
à la préparation
de ce périple. Mon canapé blanc, une petite
tablette, un ordinateur ; sur le
coté gauche, un jasmin acheté 35 euros dans une
petite boutique des quais sur
seine. Haut comme trois pommes à l'époque,
aujourd'hui il recouvre tout un mur
du salon. Il fait le bonheur des locataires. Sur le coté
droit, une plante grimpante,
des feuilles grandes comme une main humaines, qui recouvre le mur d'en
face. Et
derrière moi j'avais de grandes baies vitrées, un
balcon plein de végétaux
(rosier, bambous, plantes grimpantes). Avec en prime une vue imprenable
sur le
plus grand parc forestier du 93. Je n'ai aucun regret. J'adore, j'adore
ce que
je fais en ce moment. Même dans les moments les moins
agréables je parviens à
me représenter ce qu'il pourrait sortir de tous ces efforts.
A l'heure du déjeuner,
je quitte le cybercafé. Je pars à la recherche
d'une carte Sim afin d'être
joignable par les partenaires de l'association. Au bout d'une bonne
demi-heure
sous un soleil étonnamment chaud, après maintes
tentatives infructueuses auprès
des commerçants locaux, je finis par comprendre qu'il faut
me rendre à l'office
de poste le plus proche. Là, je ne trouve personne qui parle
anglais. Seul un
jeune client d'une petite trentaine d'année, chatain-roux,
pas très grand de
taille et nommé Madjid, sais dire deux ou trois phrases
absolument essentielles
du style : « I love, I looooove Paris. I loooove
Paris ». Essentiel, en
effet ! J'ai l'envie soudaine de
lui servir une répartie du style : « ok
mon gars, mais les cartes Sim on
les achète où, en
Iran !!? » Je me retiens toutefois. Nous
finissons par
nous comprendre, tant bien que mal. Il me dit qu'ici ils n’en
ont plus. Il me
propose généreusement de me conduire au revendeur
privé le plus proche.
J'accepte, prudemment. Et nous voilà tous les deux, sur sa
petite moto Honda,
parcourant la ville de long en large. Je ne regrette pas. Madjid sort
de sa
poche quelques pistache que nous grignotons, tout cela à un
rythme effréné et
au milieu d'un trafic automobile à l'anarchie toute
orientale. Je ne pense à
rien d'autre qu'à admirer le paysage. Je savoure le moment
présent. Machhad est
vraiment une très belle ville, à taille humaine.
De grandes artères partent de
l'immense mosquée où est enterré
l'imam Redah, huitième successeur du prophète
des musulmans et martyr de la cause shiite. Des artères
bondées de monde,
pleines de magasins bruyants, colorés, pleines de ces
senteurs
moyennes-orientales enivrantes. Le reste de la ville n'est que ruelles
proprettes,
bordées de petites maisons individuelles où il
semble faire bon vivre (à l’abri
des regards inquisiteur de la police des mœurs). Les petits
parcs publics sont
nombreux, ils contribuent à cette atmosphère
aérée qui saisit le visiteur de
ces lieux.
Une heure plus tard, nous
finissons par trouver un magasin ouvert qui me vend une carte Sim ainsi
qu'un
portable. Madjid m'invite à déjeuner. J'accepte,
prudemment là encore. Il est
visiblement très heureux. Il prend son
téléphone et prévient chez lui que
nous
arrivons. Il dit à sa
« Zinnah » (sa beauté)
de préparer le diner.
Pourtant quelque chose ne colle pas avec le personnage. Et Madjid ne
sais sans
doute pas qu'en arabe, Zinnah à la même
signification. En effet, une fois chez
lui je ne suis qu'à moitié surpris de me voir
présenter à Saïd, un jeune
éphèbe
très maniéré, à la peau
glabre et aux sourcils discrètement
épilés.
« C'est mon frère »,
s'empresse de m'annoncer Madjid. Mais oui bien
sur. Et ma mère c'est Elisabeth d'Angleterre, dite la reine
vierge. Mais je ne
laisse rien paraitre de mon amusement. Tout de même, si les
mollahs savaient...
En fait, il est probable qu'ils soient parfaitement au courant. Que
peuvent-ils
faire, après tout ? Changer la nature humaine d'un coup de
baguette magique, à
grand renfort de propagandes ? Pressurer une population
entière, tout un art.
Une question de dosage avant tout : jamais de trop, ou la population ne
manquera pas de renverser un ordre social, celé avec le sang
de ces martyrs
tant pleurés. Ici leurs photos sont partout. Certains sont
même affichés en très
grand format sur les murs aveugles de tel ou tel immeuble.
Me voilà donc en compagnie
de ces deux jeunes gens. J'accepte avec une joie non feinte le
thé qu'il
m'offre. Ici le thé est semble-t-il aussi important que
l'air. Ils en boivent
en permanence ! Avec un art tout particulier. Ils prennent d'abord un
morceau
de sucre, le placent en avant de la langue. Puis ils boivent quelques
gorgés
avec un bruit de succion à peine croyable ! L'Iran
est décidemment un pays
fascinant. J'ai rencontré en deux jours plus de monde qu'en
un mois entier
passé en Russie. Et quel gens ! Fascinant oui, surprenant
aussi. Après avoir
quitté ces deux jeunes et charmants jeunes gens qui semblent
avoir trouvé leur
façon de vivre dans un pays à
l’organisation sociale si improbable, je poursuis
discrètement ma petite enquête à
Machhad. C’est l’occasion pour moi de
parcourir toute une partie de la ville. J’adore marcher,
découvrir une ville à
pieds comme je le faisais déjà à
l’âge de douze ans à Alger, seul
à travers les
ruelles escarpées de la Kasbah. Puis le lendemain, je prends
le train de
l’Ouest. Neuf heures plus tard nous arrivons enfin
à Téhéran après avoir
traversé le grand désert iranien. Des paysages
uniques ! Des montagnes, du
sable, un terre de toutes les couleurs : roses, jaunes,
bleutée même, ou
vert argenté. Jamais je n’aurais
imaginé qu’un désert aurait pu
être aussi
riche en nuances variées.
A Téhéran, lorsque je
sors de la gare centrale, je ne prends pas l’un des premiers
taxis qui se
présente à moi. Je marche un peu plus loin,
là les prix sont plus raisonnables.
Effectivement, un homme debout devant ce qui sert visiblement de
station pour
les taxis du centre ville, me propose une course à un prix
défiant toute
concurrence. Cela dit, lorsque je vois le véhicule
qu’il me propose je prends
peur. Il veut que je grimpe, moi et mon gros sac à dos, sur
une motocyclette !?
Il ne parle pas anglais. Je parviens tout de même
à lui faire comprendre que je
tiens à la vie, que je ne veux pas mourir dès mon
premier soir dans la
capitale. Pour cela je passe un doigt en travers de ma gorge, de droite
à
gauche. Le tenancier de la station comprend immédiatement ce
signe universel.
Lui et le chauffeur du deux roues rient à gorge
déployée. Le dernier des deux
me dit dans un anglais plus que
sommaire : « moi pas mourir,
regarde ! Pourquoi toi mourir sur ma
moto !? » L’argument est
effectivement des plus pragmatique. Allons-y, pourquoi pas
après tout.
Et nous voilà tous
deux sur son deux roues, à tombeaux ouverts, parcourant la
ville du Nord au
Sud. Effectivement, le deux roues semble un moyen de transport
parfaitement
adapté à cette succession de larges avenues
polluées, croulant sous le poids de
son propre trafic, qu’est le centre ville de
Téhéran. Cela dit, jamais je
n’aurais cru que ce jeune Tehrani nous ferait rouler partout,
même sur les
trottoirs, afin d’arriver le plus rapidement possible
à destination. C’est
incroyable, le voilà qui klaxonne pour faire
s’écarter les passants, sur des
trottoirs bondés de monde, d’enfants, de femmes,
de vieillards ! Des trottoirs
larges de deux mètres tout au plus. Je suis là,
abasourdi, cramponné comme il
est possible de l’être sur
l’arrière étroit de la selle de ce
petit deux roues,
le sac qui gigote lourdement dans mon dos. Ah ok, le voilà
maintenant qui prend
les rues en sens inverse ! Et les policiers chargés
de la circulation, qui
sont très nombreux dans la capitale même
à cette heure tardive, ne semblent
rien dire. Ils sont des dizaines de motocyclistes comme lui
à en faire autant.
Seul quelques trottoirs sont interdits d’accès, de
grands plots disposés tout
du long afin d’interdire aux motos d’y monter. Je
survis donc à cette
expédition que fut mon transport depuis la gare de
Téhéran à l’hôtel
conseillé
par le guide touristique. Une expérience terrifiante,
exaltante tout à la
fois ! Je peux ainsi passer les jours qui suivent à faire mon enquête à Téhéran, sur la situation difficile que vivent de nombreux enfants confrontés au Sida. Je visite l'hôpital, les enfants et leurs parents séropositifs, les associations de malade comme le "positive club" de l'hôpital Imam Khomeiny de Téhéran. Le personnels soignant m'invite à assister à l'une de leur conférence interne, à propos de la meilleur façon de prendre en charge les enfants infectés ou affectés par le VIH/Sida. La
petite Fatima, dix-huit mois. Son
frère ainé n'a pas eut autant de chance. Je
passe également plusieurs jours dans le quartier de Chouf. Situé au sud de
la ville, il s’agit là du
quartier le plus pauvre de Téhéran.
C’est là que les nombreux
réfugiés, des
afghans en majorité, on trouvé refuge depuis
quelques années. Ici, dans
certaines communautés, près de quatre vingt pour
cent des adultes sont usagers
d’une drogue au moins. La prostitution y est
également très largement répandue.
Plusieurs associations m’ouvrent leurs portes. Fait
significatifs, certaines me
permettent même de photographier les enfants dont elles
s’occupent, à visage
découvert. Pour moi, c’est très
important. Il faut absolument que l’opinion
publique voit ces enfants tels qu’ils sont : des
enfants tout à fait comme
les autres ! Et ce malgré qu’ils sont
confrontés pour beaucoup d’entre
eux, dès leur plus jeune âge, à des
problèmes qui dévastent la vie
d’adultes
pourtant plus expérimentés.
C’est ainsi qu’à
Chouf, je
rencontre des gens formidables, plein de
générosité, qui m’ouvre les
portes de
leurs associations, faisant fi en cela des menaces d’un
gouvernement qui leur
promet de leur interdire toute activité, si elles en disent
trop à propos de la
situation du Sida en Iran. Je rencontre notamment Leila Arshad,
fondatrice de
« la maison du soleil ». Khaneh
Khorshid en iranien, n’est-ce pas là un
nom magnifique ? Cette
association s’occupent de dizaines de mères
toxicomanes, dont certaines sont
également infectées par différentes
maladies diverses et variées, dont le Sida.
Cours de prévention, groupe de parole entre toxicomanes
anonymes, distribution
de préservatifs, administration de méthadone
(produit de substitution,
permettant le sevrage aux drogues dites
« dures »). Khaneh Khorshid
est un paradoxe en soit, qui existe tant bien que mal depuis deux ans
dans un
pays où ce genre de pratique (toxicomanie, prostitution,
inceste) n’existe pas… Officiellement
du moins. Cette maison du soleil a
vue le jour grâce au courage et à la
détermination de femmes qui ont su se
dresser contre l’indifférence. Des femmes comme
Madame Arshad, ou encore Sorour
Monshizadesh. Une femme délicieuse, d’une
soixantaine d’année. Le bras droit de
Leila Arshad. Elle me fait visiter les lieux.
« Parce que tu es de la
famille », me glisse-elle à
l’oreille. Entendez parle là que si je
n’avais
pas montré patte blanche, notamment en leur parlant de ma
propre expérience
face au Sida, jamais elles ne m’auraient
ouvert les portes de leur modeste demeure. Elles m’ont
posés mille et une
questions, elles ont inspecté le site internet du projet qui
me sert
régulièrement de carte de visite, avant de
simplement daigné me faire
pénétré
dans leur bureau. « Voilà,
c’est tout ce que nous avons ».
Effectivement, cette maison qui leur sert de siège est bien
modeste, pourtant
elles semblent y faire un travail remarquable ! A Chouf, dans le Sud de Téhéran je rencontre également le personnel dynamique, des rêves pleins les yeux, de « l’association pour la protection des enfants qui travaillent » (ils sont nombreux dans cette ville moderne qu’est Téhéran). Cette association à été fondée il y a moins de dix ans par cinq personnes. Parfois pour changer un bout du monde, il n’en faut pas plus. Alors pourquoi ces psychologues, ces instituteurs, ces simples habitants du quartier, ont-ils décidé un jour de venir en aide tout particulièrement à ces enfants ? La raison de cette initiative est bien triste. C’est celle d’une petite fille de 9 ans, Leila. Cela veut dire nuit. Cette petite fille a connu l’obscurité de l’existence avant toute chose. Un jour, elle se trouvait dans la rue. Elle s’est faite renversé par une voiture. Au lieu de l’aider, de la soigner, certains jeunes gens du quartier lui ont proposé de l’argent en contrepartie de relations sexuelles. L’enfer sur Terre ! Les cinq fondateurs de l’actuelle association ont appris l’histoire de cette pauvre fillette. Ils ont décidés coute que coute de venir en aide à ce genre d’enfants, par tous les moyens. Cette aide, elle passe avant tout par l’éducation ! Conscient de cela, ils ont alors ouvert une première salle de classe, dans l’arrière court d’un bâtiment abandonné comme il y avait tant d’autre à Chouf. Cette salle ils l’ont appelé « Leila », comme un mausolée érigé en mémoire du calvaire de cette pauvre enfant. Ghorbat,
21 ans. Aujourd’hui, Ils ont été en mesure de rénover une dizaine de salles qui servent pour la classe, les entretiens avec le psychologue, de bibliothèque (avec plus de quatre mille ouvrages, ils en sont si fiers !), ou encore pour les cours de théâtre. Effectivement, ces enfants qui ont du mal à exprimer verbalement la souffrance à laquelle ils sont confrontés au quotidien, sont très doués pour l’expression dramatique. Jugez-en plutôt vous-mêmes sur la photo ci-dessous. J’ai même eut la chance d’assister à la pièce qu’ils jouent en ce moment pour les habitants du quartier. Au cours de cette de théâtre, personne ne parle, tout est dans les gestes. Ils y « parlent » de transmission du Sida, d’une personne à l’autre. Ils y « parlent » d’enfants dont les parents ne savent pas comment les soigner du mal qui le rongera, toute leur vie durant. Ils y « parlent » sans mots, d’un sujet que les adultes ont choisis de taire, dans un pays où ils sont déclarés tabous d’état.
Ce
jeune adolescent tient dans ces bras En Iran, le Sida reste un tabou que de nombreuses associations veulent combattre, à leur façon.
Aujourd’hui, l’association compte des dizaines de professeurs bénévoles. Les enfants y suivent des cours d’éducation sexuelle, de prévention contre le Sida, d’information au sujet de leurs droits. Et cela de sept heures à neuf heures du matin. Ensuite, ils s’en vont pour une journée entière de labeur. Quel sérieux, quelle gravité dans les yeux de certains d’entre eux, conscients qu’ils sont à leur âge des dures réalités de la vie ! Après une semaine passée à Téhéran en leur compagnie. Je quitte la capitale avec le dénommé Mortiza et son ami.
En effet, une fois n’est pas coutume, Je me suis pris d'amitié pour ce jeune Mortiza. C’est un jeune homme exceptionnel, particulièrement intelligent, qui travaille pour l’association « iranian positive life ». Une organisation qui fait beaucoup pour les personnes vivant avec le VIH à Téhéran, y compris pour les enfants. Un jeudi après-midi, j’ai même accompagné Mortiza pour son cours de français à l'université Al Mojtamah Fani Tehran (l'institut technologique de Téhéran). Nous avons passé trois heures exquises ! Un groupe d'une douzaine de personnes. L'ambiance était très énergique ! A la pause café, nous avons bien ri. Ils avaient de nombreuses questions sur Paris, la France, sur les raisons de mon voyage également. Ils ont du mal à croire que j'ai délibérément choisi d'effectuer le voyage en train, depuis Paris jusqu'à Téhéran. Cette ville que j’ai eut beaucoup de mal à quitter. Je ne pensais pas y être si bien ! Pourtant, la compagnie de Mortiza et de son ami Arian auront été pour moi un peu comme de passer quelques jours avec des cousins bien aimés, après des mois de solitude quasi continue. Ces enfants plein
de vie grandissent à Chouf, le quartier les plus
à risque de la capitale.
Sauront-ils échapper aux dangers du monde des adultes ? Certains de
ces enfants travailleurs, Pourtant, je dois quitter Téhéran. Je fais une légère halte à Qom, la ville universitaire par excellence des mollahs shiites du monde entier. Puis je me rend à Kashan, l’une des villes les plus anciennes de cette région là du monde. Là, je séjourne dans une auberge situé au cœur de la vieille ville. Les tenanciers y sont zoroastriens. Ils appartiennent à cette très ancienne religion de l’empire sassanide. Puis, le mercredi 17 décembre à 9h précise, je quitte Kashan en taxi collectif, bien moins onéreux qu’un taxi à usage privé. Je pars pour le sud de l'Iran. Sur la route qui traverse le lac de sel, nous faisons une brève halte tout près du caravansérail « Parandjab », aux portes du désert de l’Est. Pourtant, aucune trace d’une secte quelconque ici. L’établissement semble abandonné depuis des siècles. Je cherche et cherche encore. Je visite les lieux de font en comble. Tout d’un coup, je vois une ombre furtive, quelqu’un est sur mes pas. Je prends mon courage à deux mains et je cours dans cette direction. Les autres passagers qui dégustent sereinement un thé à la menthe, me prennent certainement pour un fou ! Toutefois, je ne lâche pas prise. Mes pas me conduisent à quelques centaines de mètres du caravansérail. Là, derrière les roseaux j’aperçois quelque chose au loin qui brillent intensément sous les rayons de ce soleil de plomb. Les gros nuages du début de journée ont disparus. C’est ma chance, sans cela je n’aurais sans doute rien vu. Aucune trace de cet homme que j’ai entraperçu tout à l’heure. Je continue pourtant droit devant et là, je vois plus distinctement de quoi il s’agit. C’est une vieille pièce de ferraille rouillée par les siècles, rongée par la rouille. Que fait-elle là !? Comme pour répondre à ma question muette, le chauffeur du taxi qui s’est approché pour voir si tout allé bien me dit ceci : « c’est une vieille armure. Les gens des vallons d’ici n’ont jamais voulu que l’on y touche, allez savoir pourquoi ». « Une veille superstition sans doute », je lui glisse l’argument sans trop y croire. « Oui exactement, comment le savez-vous ». « Oh je ne sais pas, une idée comme ça… Et si je ne m’abuse, elle indique exactement la direction du sud-ouest, c’est bien cela ». « Oui, ca tombe bien, c’est par là qu’on va », me dit-il. « Allons venez, nous allons être en retard et les autres passagers vont rouspéter ». Sans plus attendre, sur les pas du chauffeur je me dirige vers le véhicule. Le vieux vendeur de dromadaire du marché d’Achgabat ne m’aura pas menti. Cette ombre tout à l’heure, c’était très probablement ce vieil ermite dont il m’a parlé. « Ce vieil ermite s’est fourré dans la tête de veiller sur une relique rongée par l’usure et l’oubli des hommes », m’avait-il dit. Avec l’habitude, je commence à retenir leurs sordides énigmes par cœur ! Et aujourd’hui, une étape de plus sur la quête de ces gardiens vient semble-t-il d’être franchie. J’ai trouvé ce tas de ferraille rouillée à laquelle cette confrérie semble vouer un respect particulier. Elle indique le sud-ouest. Je suis sur la bonne voix. Il me reste toutefois à trouver ce fameux « dernier des caravansérail » encore en exercice, quelque part au-delà de l’antique cité d’un peuple « chimère ». Nous verrons bien… La
vieille relique abandonné au milieu de nul part,
En direction du Sud-ouest donc,
je fais une brève halte à Ispahan, le joyau du
17éme siècle Perse. Aujourd'hui,
la ville en elle-même est assez laide. Le niveau de vie des
habitants y est
clairement peu élevé, comparé
à la capitale par exemple. Toutefois, la grande
place centrale, le très célèbre « midan
Imam »
saurait ravir les sens du plus blasé des
globe-trotters. J'ai d'abord poussé un
« Ah », puis un
« Oh », en apercevant le
célèbre dôme bleue, la
mosquée de l’imam
Lotf-Allah (littéralement, la miséricorde de
Dieux) et les palais qui donnent
sur le midan. Je passe une après-midi là,
à prendre des clichés de ces
bâtiments, sous tous les angles possibles. Je
déguste une collation à l'heure
du thé, dans un café qui donne sur la grande
place. Je dine sous les voutes
colorées du restaurant traditionnel
« Bastani ». Au coucher du
soleil, je flâne sur le pont
« Khwadju » : une merveille
d'architecture farsi, qui n'a rien à envier au Vaporetto
Vénitien. A 22h30 enfin,
je prends le bus de nuit pour Chiraz, cette « ville
d'amour et
d'art ». Elle se trouve à
l'extrême sud du pays, non loin du golfe
persique. Chiraz se trouve à quelques encablures de ce qui est sans doute le plus beau site archéologique d’Iran. Je loue donc les services d’une voiture avec chauffeur : seul, jamais je ne pourrais visiter toutes ces villes perses avant l’expiration de mon visa. Et il est hors de question que je renouvelle l’expérience du visa russe ! C’est ainsi que nous passons une journée entière à visiter Persépolis et sa porte de pierre aux dimensions impressionnantes. Une relique d’un passé glorieux, que l’ancien président chinois a qualifié de « porte des nations unie d'il y à 2500 ans »,. Tant l’empire perse antique avait su regrouper, bon grès mal grès, de peuples différents aux cultures extraordinaires. Bactriens, assyriens, tatares, égyptiens, éthiopiens, roumains et tant d’autres encore. Tous ces peuples sont représentés sur les murs extérieurs de l'apadana, le palais aux cent colonnes. Au milieu des ruines, je ne peux m’empêcher de remarquer la présence d’une sculpture particulière, que l’on retrouve ça et là, un peu partout sur le site de l’ancienne capitale de l’empire. Je demande au guide de quoi il peut bien s’agir. « C’est le symbole de la force du taureau sacré, allié à l’intelligence de l’esprit humain. C’est cet animal mythique qui soutenait le haut de chacun des piliers de l’Apadana. C’est le symbole de la force perse : la puissance d’une chimère à tête humaine et au corps de bovidé. » A la mention de ce mot, mon esprit s’accélère : « chimère… vous avez dit Chimère ?» « Oui, c’est bien cela », me dit-il. « Ou Chimaera, dans la langue ancienne. Le peuple Chimaera, comme les appelaient leurs ennemis afin de signifier l’incroyable force, l’intelligence remarquable dont se peuple à su faire preuve tout au long des siècles ». Aucun doute n’est possible. Je suis bien dans la citée que le vieux gardien du Khouloud à voulu me faire visiter. Et le message est clair. Le secret de l’éternité appartient à ceux qui savent canaliser leur force sauvage et conquérir le respect de leurs ennemis.
La nuit va bientôt tombé. Je ne
m’attarde pas plus. Après Persépolis
nous visitons Nécropolis. C’est là que
sont enterrés le grand Darius et ses non moins illustres
descendants. Le
symbole zoroastrien de l’âme éternelle
et apaisée, vieille sur eux. Et le
« Naqsh al-Rostam »,
taillé à même la pierre, nous relate
leur
conquête sur les peuples de soumis. Voilà,
j’ai réalisé l’un de mes
rêves
d’enfance. J’ai visité les ruines
incroyables de Persépolis ! Ces
peuplades ariennes venues de Sibérie jusqu’en
Iran. L'une des ces tribus
s'appelaient les perses, fondateur principaux de cette dynastie
iranienne
illustre, déchue il y a trente ans par l’ayatollah
Khomeiny et ses comparses. A
la nuit tombée, nous prenons la route de l'est.
Après Pasargades, la première
des citées achéménides. Là,
est enterré l’un des plus grand
conquérant perse.
Sur sa tombe il y a écrit ceci : «
Passant, Je suis Cyrus le Grand. J'ai
donné aux Perses un Empire et J'ai
régné sur l'Asie. Alors,
nul n’est besoin de jalouser ma tombe »
Plus loin, nous passons au pied
d'Abarkuh, « la montagne
suprême ». Nous rendons hommage
à l'un de
arbre les plus vieux au monde. C’est un cyprée
âgé de plus de quatre mille ans
! La
légende nous raconte que cet arbre aurait
été planté par le prophète
Zoroastre lui-même. C'est pour toutes ces raisons
que le cyprée est ici le symbole de
longévité dont on retrouve l’image sur
tous
les murs des temples et des palais, là-bas à
Persépolis. Mon guide m’apprend
également qu’une secte occulte, au nom de
« gardiens du khouloud »,
viendrait ici une fois par an au moment de Naurouze (le nouvel an
perse) afin
de rendre hommage à ce vieux frère de tous les
êtres vivant. Je n’ose en
demander plus à ce guide que je ne connais que trop peu.
Mais la mention des
gardiens m’indique clairement que je suis encore sur la bonne
voix ! Nous passons
un dernier col de montagne enneigé. Nous arrivons
à Yazd peu après le coucher
du soleil. Effectivement, je pensais l’avoir
laissé derrière moi au Kazakhstan,
mais l'hiver est pourtant sur mes traces. Ici à Yazd, le
vieil homme blanc me
suit pas à pas. Ce soir encore il a neigé sur les
hauts plateaux d'Iran. Mon
guide me dépose en centre ville, puis s’en
retourne chez lui.
Par cette nuit glaciale, je dors
au très accueillant caravansérail
« de la route de la soie ».
C’est sans
doute le caravansérail
que j’ai tant cherché ! Là
encore, je verrais bien. L'hospitalité iranienne n'aura de
cesse de m'époustoufler.
Ici, même les touristes d'origine iranienne, vous propose de
vous servir à
manger au restaurant de l'hôtel : « c'est
comme à la maison, s'il y a
besoin de donner un coup de main alors... voilà
! », me lance spontanément
Zohra, l'une des Tehranis descendus sur Yazd pour y passer quelques
jours de vacances.
Le lendemain matin je prends le temps de visiter la ville, ses
mosquées bien entendue,
mais aussi son cimetière et son temple zoroastrien. Depuis
des millénaires en
effet, cette ville aux portes du grand désert du nord,
abrite l'une des plus importantes
communautés zoroastriennes d'Iran. Je visite
également la « tour du
silence ». Ce monument érigé
en haut d'une montagne au sud de Yazd. La
tradition Zoroastre, pratiquée jusque dans les
années soixante, voulait que la
dépouille des plus illustres morts de la
communauté soit simplement déposée au
sommet de cette tour. Les vautours étaient
chargés de purifier les chairs des morts.
Peu de défunts avaient l'honneur d'être
élus pour un tel rituel. C’est une
pratique que l'on retrouve d'ailleurs aussi au Tibet, exactement sous
la même
forme. Je déjeune ensuite à l'hôtel :
riz au safran, poulet au gingembre, pain
traditionnel et bien entendu l'indispensable yaourt blanc dont les
iraniens
raffolent tant ! Et tout ceci pour moins de 4 euros. La nuit m'a
couté à peu
prés autant. L'Iran est de loin le pays le meilleur
marché qu'il m'a été donné
de visiter au cours de ce voyage.
Après
le déjeuner, en tête à tête
avec moi-même et à l’écart
des autres clients de
l’hôtel, je prends le temps de déguster
un délicieux thé au gingembre. C’est
à
ce moment là que Zohra, la charmante cliente
d’hier soir, s’approche de moi sur
la pointe des pieds. « Je peux vous
déranger », me lance-t-elle avec
un grand sourire. « Oh oui bien entendu, je vous en
prie
asseyez-vous ». La carnation de Zohra est
d’un blanc immaculé, ces cheveux
d’un noir profond. De grands yeux lui mangent la
moitié du visage. Sa robe traditionnelle
ne saurait cacher totalement des habilles raffinés aux
couleurs vives, qui un
peu plus encore mettent en valeur ses joues au teint de
pêche. Soudain, Zohra
n’a plus l’air aussi serein qu’en
arrivant près de moi. Assise, elle jette un
regard furtif par-dessus son épaule, puis se penche vers moi
pour me lancer
un : « je suis cartomancienne
à mes heures perdues. Les cartes
sont mes confidentes, comme elles l’ont
été pour ma mère et sa mère
avant elle.
Mais pour toi, c’est le globe de Crystal qui semble le plus
approprié. Veux-tu
que nous purifions ensemble la voix entre nous, qui te
mènera au secret de nos
ancêtres ? » Voilà les
seules paroles qu’elle prononce. Puis, elle se
retire au fond de sa chaise. La tête
légèrement en arrière, les yeux
désormais
mi-clos, tel un buddha en pleine méditation. Il faut la
voir, là dans son Aba
noire. Elle me fait penser à cette toile de Klimt que
j’avais eut la chance
d’admirer un jour, au musée de Vienne :
« La médecine ».
L’allégorie imaginée par un artiste
hors norme, une femme au regard puissant,
l’héritage d’une culture
multimillénaire. Mon esprit vagabonde le temps
d’une
seconde, puis je m’en reviens à
l’instant présent. Ici et maintenant, je ne
suis qu’à moitié surpris. Je
m’attendais plus ou moins à une intervention de ce
genre. Je ne sais toujours pas si je dois croire ou non à
l’histoire que me
sert cette confrérie. Cela dit une chose est sûr,
ils sont au fait de leur
affaire. Ils savent où et quand me trouver et ils veulent me
faire comprendre
quelque chose. Quoi, de cela je n’ai aucune idée
précise. Mais je suis prêt à
tenter l’aventure jusqu’à son
terme ! Zohra est toujours là, telle une reine de glace, impassible, le regard vous perçant l’âme et le teint d’ivoire. Je me rends compte soudain que je suis crispé, tendu, dans l’expectative. Je ne bouge pas. Je détends simplement les muscles de mon corps. Je me penche légèrement vers elle et je prononce un simple « oui », tout juste un murmure. C’est semble-t-il le signe qu’elle attendait. Elle sort de sous les pans de sa robe un globe de cristal coloré, que je vois pour la première fois. Elle se lève enfin, juste assez pour placer sa chaise tout contre la mienne. Nous sommes ainsi tous deux le dos tourné aux autres convives. « Ta main, dans ma main », me dit-elle d’un ton péremptoire, à la limite de l’injonction. Effectivement, dans cette position, personne ne s’apercevra de ce contact charnel qu’ici en Iran, est interdit aux deux étrangers que nous sommes. Je m’exécute et là le contact est surprenant, presque douloureux ! Comme lorsque vous recevez une décharge d’électricité statique après un orage. La peau de Zohra est douce, c’est la peau d’une femme de l’élite. Cette femme n’a jamais travaillé de ses mains. Je regarde la boule de cristal. Je dois surement rêver car je vois qu’à l’intérieur, quelque chose s’anime. Moins que des images concrètes, plus que de simples mouvements désordonnés, c’est comme une brume qui tantôt prend corps, tantôt virevolte de manière erratique. J’ai le regard plongé dans la boule de cristal, impossible de m’en détourner ! Zohra est là, ma main dans la sienne. Elle commence à déblatérer cette énigme qu’une partie de moi appelait de ses vœux. Je vais enfin savoir où devront me porter mes pas dans les prochaines semaines. Tel un oracle des temps passé, elle dit : « Par-delà la tombe de ton aïeul, tu iras au bout du monde. Puis, sous un soleil de plomb tu traverseras le pays des longues pattes. Tu rendras hommage au Dieux Tortue. Au sud du continent autrefois inconnue, tu traverseras seul le lac du Dieu soleil. Seul, tu devras trouver ta route. Les nobles fins de l’existence sont à ce prix là ! Puisse l’espoir des anciens t’accompagner où que tu sois. Nous, gardiens du Khouloud, te recontacteront le moment venu ».
Voilà,
la suite de ma quête d’un remède pour
les enfants du Sida est désormais entre
mes mains. Il est entre mes oreilles, plus exactement.
« Entre orient et
occident, elle t’indiquera la route à
suivre… », disait le vieux gardien
Ouzbèk. Le sort en est jeté. Au-delà
de Zahedan la ville du vieil aïeul de ma
famille, je devrais
suivre ma route
jusqu’ au fin fond de l’Asie du Sud est.
« Jusqu’au bout du
monde… ».
Oui, le Vietnam sera surement un pays plein de rebondissements. Mais
pour le
moment je suis encore en Iran. Je n’ai pas le temps de
demander à Zohra si je
peux prendre une photo d’elle. La tête ailleurs, je
ne l’ai pas vue quitter la
table dans un froissement d’étoffe. Elle a
pourtant laissé là sa boule de
cristal, comme la preuve que tout ceci ne fut pas un rêve.
Pourtant le globe
est désormais vide, comme abandonné par cet
oracle qui déjà s’occupe de la
destinée d’autre que nous.
Iran, que de surprises
m’auras-tu offertes ! Je quitterais très
bientôt cette terre, le cœur gros
des émotions entrainantes, vivifiantes que ce peuple humain
et raffinée a su
insuffler en moi. Malgré une situation politique que le
monde entier ne connait
que trop bien. A 14h30, je quitte Yazd par le bus. Destination, Bam :
la plus
large étendue de construction en pisée du monde.
Mais le tremblement de Terre
de 2003 à entièrement mis la ville à
Terre, au sens propre. Les quartiers
habités sont reconstruits désormais en dur.
L’antique citadelle, symbole d’une
vie osmotique de ce peuple du désert avec son environnement,
est reconstruite
brique par brique grâce à l’aide des
instances internationales. Puis, après Bam
je visite Zahedan. On m’avait promis
mille dangers si je
m’attardais dans cette
région. En faite, je ne demande même pas
d’escorte policière comme cela est
recommandé. Un foulard kéfié sur la
tête et le visage, je passe inaperçu les
quelques kilomètres à risque du Baloutchistan.
Seul un passant qui me demande
une information, dans la rue à Zahedan,
se rend compte que
je suis étranger.
Lorsqu’il apprend que je suis d’origine
algérienne, ni une ni deux il insiste
pour être mon hôte. J’accepte avec
plaisir. Ses traits du visage, cette
chevelure karakul, cet os frontal un tantinet proéminent
(que j’ai moi aussi) :
il ressemble comme deux gouttes d’eau à mon oncle,
Atman. Les origines
génétiques communes semblent
indéniables ! Je passe donc la nuit chez ce
jeune homme de trente deux ans, mariés, deux enfants. Puis
le lendemain, peu
avant onze heures du matin, je quitte la ville de mes
ancêtres, direction le
Pakistan.
Alors, que dire de
l’Iran !? Pour sûr, c’est un
pays extraordinaire, bourré de paradoxes. Par
exemple, il est interdit aux femmes de montrer le moindre
centimètre carré de
leur corps. Pourtant les hommes sont autorisés à
porter toute sorte d’habilles
moulant, aux couleurs bariolés, que même certains
jeunes hommes
« tectoniciens » à
Paris, auraient du mal à porter au quotidien.
Autre paradoxe, il est plus que difficile de parler de
sexualité, ou que ce
soit. Pourtant, les autorités distribuent des
préservatifs aux détenus en
prison. Incroyables ! Mais au moins prennent-ils
dorénavant les problèmes
à la racine. Ce n’était pas le cas il y
a à peine quatre de cela, aux dires de
nos associations sœurs. Et des paradoxes comme celui-ci, on
en découvre tous
les jours en Iran ! C’est un pays à des
années lumière de l'idée appauvrie,
préconçue
que les gens en ont généralement. Et si je vous
disais tous ce que j’y ai vus,
tout ce que les gens vivent en Iran, vous ne me croiriez probablement
pas. Et ceux
qui me croirez ne comprendrez sans doute pas exactement à
quoi je fais
allusion. PAKISTAN
Le sous-continent indien :
un pays, deux
nations ! Le lundi 22 décembre 2008, j'ai quitté l'Iran par sa frontière de l'est. J'ai laissé Zahedan et le désert de Loth derrière moi. Je passe en taxi au pied du mont Taftane. Là aussi, je passe la frontière en toute simplicité. Coté iranien, je sais d'expérience qu'ils sont cools. Quant au coté pakistanais, c'est à peine si je remarque le baraquement, jeté nonchalamment sur le bas coté de la route, qui leur sert de poste frontière. Tout se passe sans anicroche. Pourtant, le vieil officier des douanes, un peu grassouillet sur les bords, une énorme bague au petit doigt, me propose de « rester passer la nuit avec lui ce soir », plutôt que de partir sur Quetta tout seul, dans la nuit qui va bientôt tomber. On se serait vraiment cru dans un très mauvais remake de Laurence d'Arabie, lorsqu'il se fait séquestré (et un peu... disons beaucoup plus que cela) par l'officier égyptien. Mais finalement il finit par me remettre mon passeport et me laisse tranquillement partir. Il me réserve même un billet de bus par téléphone.
Lorsque je finis enfin par
passer la frontière, un fou rire s’empare de moi,
une joie intense me saisit !
Je suis tellement heureux. Cette joie semble aller crescendo
à chaque nouvelle
frontière franchie. Là par exemple, je passe bien
cinq minutes hilare de
bonheur, lorsque j’aperçois mon tout premier
camion multicolore. Ce n’est pas
le véhicule lui-même qui me met dans un tel
état. C’est plutôt le bonheur de la
découverte, la joie du rêve qui se
réalise jour après jour, le plaisir intense
d être vivant ! Je suis vivant ! Et je découvre
chaque jour un peu plus que
l’être humain est une entité
formidable ! C’est dans cet état
d’esprit que
j’arrive en marchant, comme d’habitude,
à la ville frontière coté pakistanais.
La ville de Taftane, l’éponyme du mont qui la
surplombe, est l’idée que je me
faisais jusqu’alors d’une ville du moyen
âge. Les gens ici dans le
Baloutchistan pakistanais, vivent dans un dénuement
incroyable. C’est à peine
s’ils ont l’eau au puits et
l’électricité, quelques heures par
jour. Pour
l’occidental que je suis, ce dépaysement est
splendide ! Pour les
pakistanais du cru, cela doit être une sacrée
épreuve que de vivre ici au
quotidien.
Je fais quelques courses dans
une boutique du coin. Ce soir ce sera biscuits secs et eau
minéral. Rien
d’autre ne peut vraisemblablement être comestible
pour moi, dans une contrée
pareille. A dix sept heures comme prévu, notre bus finit par
quitter les lieux.
A mes cotés il y a Johavide, un jeune
réfugié afghan de 18 ans. Il a le teint
clair, la peau blanche, les cheveux raides aux reflets blonds
foncés. Mis à
part son kamis traditionnel, il a le type tout à fait
européen. On m’avait
prévenu, ici de nombreuses personnes sont très
clairement métissées du fait de
leurs ancêtres ariens venus du Nord. Johavide,
malgré son jeune âge, est
récemment revenu d’Europe. Il était
là-bas afin d’obtenir un travail. La police
à finit par l’arrêter quelque part avant
la grande Bretagne et l’a renvoyé chez
lui. Aujourd’hui il est au Pakistan, il achète des
chaussures à Karachi dans le
sud du pays et les revends là-bas, en Iran. Incroyable,
l’expérience d’un
trentenaire dans la peau d’un tout jeune
adolescent ! C’est là la
conséquence de la guerre et de son émulation sur
les populations humaines, c’est
une sélection naturelle brute de décoffrage qui
bouleverse l’équilibre déjà
fragile de toute une région du monde.
Ces soucis de géopolitiques ne
m’empêchent pas de piquer un petit somme. A vingt
heures je suis réveillé. Nous
faisons une halte afin de diner sur la route. Ce qui tient lieu de
restaurant
est en fait constitué de deux pièces
bâties en briques de terre cuite,
prolongées par un grand préau fait de tenture et
de pailles tressés. Dehors, il
n'y a aucune lumière à part celle de notre
autobus. Le ciel est inondé d'étoiles.
Chose exceptionnelle, Il m’est possible de distinguer les
différentes nuances de
la voie lactée. Et nous sommes là sous la tente,
tel des voyageurs des temps
anciens, assis en tailleur à manger avec les doigts. Je me
résous à imiter mes
voisins, je ne vivrais tout de même pas de biscuits
secs !? La nourriture
est épicée à souhait. Une musique
orientale de fond clôture cette ambiance des
mille et une nuits qui nous est offerte. Les langues se
délient, les
discussions vont bon trains. Dépaysement garantie ! Par
contre, ce n'est même
pas la peine de penser à l'hygiène : les convives
boivent tous dans le même verre
(tout comme dans le bus du reste). Et nous mangeons quasiment
à même le sol.
Les nans (le pain traditionnel) sont posés sur une nappe que
nous avons tous
piétinée allègrement afin de prendre
place autour du repas. Ensuite, le jeune garçon
qui fait le service ramasse les restes à l’aide
d’une balayette noire, crasse :
le désinfectant !? Tu oublies. Au bout d’une
petite trentaine de minutes, nous
remontons dans le bus. Nous repartons sur les chapeaux de roues, sur
une autoroute
rudimentaire, droite comme un I. Au petit matin nous arrivons enfin
à Quetta :
la première grande ville de l'ouest du Pakistan. Les
chauffeurs ont dormi à même
le sol, à peine un coussinet sous la tète et un
long foulard bariolé pour se
couvrir le visage. Ils se sont relayés des heures durant.
A Quetta, tous le monde vous
appel par le petit sobriquet extrêmement
désagréable de « Mister,
com’on ! Mister com’on !
Misteeeeeeeeer ». Sans hésiter outre
mesure, je me drape le visage une fois encore dans mon
Kéfié noir et blanc.
Cela marche, la plupart du temps personne ne remarque ma
présence. Afin de
visiter la ville, je monte dans le premier rickshaw que je prends de
toute ma
vie. Eh bien j'ai failli le démonter ! Je n'ai pas
su comment ouvrir la toute
petite porte en toile, toute juste accrochée au reste de la
structure ! J'ai
alors commencé à démonter le scratch
qui fixe la portière, comme un idiot ! Je pensais
vraiment que c'était ainsi qu'on ouvrait un machin pareil.
Mais voilà le
chauffeur qui hurle et des passants qui se jettent sur moi :
« non, mister
! Comme ca... » Oh, oui tout simplement. Ah le fou
rire qui s’est alors
saisi de moi. J'ai bien du rire, seul pendant deux bonnes minutes. Le
chauffeur
à coup sur, m'a pris pour un fou. Il a passé le
reste du trajet à me regarder
discrètement dans son rétroviseur,
l’air inquiet. Mais quel fou rire !
C’est toujours dans ces moments où je ri le plus
que j'aimerais que ma sœur
adorée soit à mes cotés pour rire avec
moi. Après les premiers choques
culturels passés, je fais connaissance avec Quetta : ses
bazars innombrables,
ses mosquées outrancièrement
décorées telles des temples hindous, et ses
ruelles pour la plupart absolument impossible à distinguer
les unes des autres.
Je mène également ma petite enquête sur
les enfants éventuellement concernés
par le Sida : impossible. Notamment au centre d’aide social
de l’un des quartiers
les plus pauvres du Nord de Quetta, un quartier où les
femmes afghans, vêtues
de leur bourka, sont légions. Tout comme à
Zahedan, les portes semblent être
hermétiquement fermées. Je n'insiste pas.
Le lendemain matin, je prends le
bus de 17h30 pour Multan. C'est le chef lieu du Pendjab, province au
cœur
véritable du Pakistan. Je quitte ainsi le Baloutchistan,
cette province afghane
concédée au Pakistan pour 50 ans. L'Afghanistan
n’a jamais été en mesure de
réclamer son du. En ce qui nous concerne, nous sommes
censés arrivés à neuf heures,
le lendemain matin. Je ne sais pas si nous y survivrons. C'est une
très longue
route, qui n'est pas goudronnée et qui serpente au bord de
précipice
vertigineux. Notre chauffeur ne semble pas les voir car il roule
à une vitesse
impressionnante ! Dans l'habitacle du bus, nous sommes cinq par
rangées : deux
de chaque cotés, plus un passager sur les strapontins de la
rangée centrale.
Mon voisin immédiat, assis sur un strapontin justement,
n'est encore qu'un adolescent.
Mal en point et toussant fortement, il vient sans doute de finir ses
journées
de travail. Nous faisons tous ce que nous pouvons pour lui laisser un
peu plus
de place. Je pense lui céder siège plus
confortable pour quelques heures,
lorsqu’il rend le peu de chose qu’il a dans
l’estomac ; là, à
même le sol
du bus. Je lui tapote le dos, lui donne un peu d’eau fraiche
et insiste pour
qu’il mange au moins une orange. Bien évidemment,
il me tousse à la figure
durant des heures. Sans compter que pour l’aider à
se nettoyer, je touche ses
mains humides et ses habilles à plusieurs reprises. Je
n’ai aucun dégout,
contrairement à la plupart des autres passagers qui osent
à peine le regarder
du bout des yeux. Simplement, je ne me fais aucune illusion quant
à mon état de
santé dans les jours à venir. Je serais malade,
ainsi soit-il.
Nous finissons tout de même par
arriver à destination, pleins de crampes et de germes
infectieux en tout genre.
Multan, comme le reste du Pakistan est un paradis pour petit
budget ! La
ville est vaste, elle est truffée de monuments
splendides ! Sans parler de
sa vieille ville fortifiée : un bijou, c'est
magique. Par contre, la
grosse différence avec Quetta, c’est la
poussière. Le plus grand désert du
sous-continent indien n’est pas loin : inutile de faire
quoique ce soit pour la
retirer, la poussière est partout. D'ailleurs c'est bien
simple, les gens de
l’hôtel ici ne font rien pour nettoyer les lieux !
C’est un hôtel tout juste correcte,
la chambre est à deux euros la nuit. Il y a tout de
même un garde armé à la
porte de l’hôtel, histoire de calmer les bandits
les plus audacieux. Par
contre, la salle de bain n’a pas de fenêtre et je
me douche parfois à six
heures du matin aux quatre vents. Voilà qui ne saurait
améliorer mon état de
santé que je sens disons… quelque peu sur la
tangente. Je commence à tousser et
ma digestion se fait hasardeuse. Je prends tout de même le
temps de visiter
encore le Sud de la région de Multan : Uch Sharif
et ses tombeaux de
mystiques soufis, Bahâwalpur et sa bibliothèque
datant de l’empire des Indes.
De retour sur Multan, je visite le plus grand, le plus beau des
monuments de ce
genre, typique de cette région du monde. C’est le
tombeau du plus célèbre des
soufis de l’Indus : Sheikh Roukn Al-halam
(littéralement, « le maître
pilier de l’univers »). Je ne sais pas ce
qu’il a du faire de son vivant,
mais en tout cas les gens d’ici l’ont beaucoup
aimé pour lui construire une
tombe pareille ! C’est en tout cas là que
je rencontre Talib et
Amir : l’un est banquier à Karachi, il
est shiite. L’autre est cordonnier
à Multan, il est sunnite. Tout les sépare, y
compris la distance. Pourtant ce
sont les meilleurs amis du monde. J’aimerais pouvoir vous
décrire cette
énergie, cette joie de vivre, cette
spontanéité qu’ils ont
laissé explosé en
faisant ma connaissance. Nous passerons la matinée ensemble,
ils m’inviteront à
partager leur déjeuner. J’aimerais les revoir un
jour. S’ils viennent en Europe
et qu’ils ne me font pas signe, j’en serais
réellement vexé !
Nous sommes le dimanche 28
décembre. Peu après le lever du soleil, dans un
brouillard matinal impénétrable
qui semble être l'une des marques du Pendjab en plus de
l'insidieuse poussière,
je quitte Multan la magnifique. Je prends le train de sept heures qui
ne part
pas avant bien les 7h20, au moins. Je me rends à Lahore,
ville proche de la
frontière indienne à propos de laquelle tout le
monde ne tarit pas d'éloge. Dans
le train je rencontre Mohamed. Il insiste pour m'offrir un
thé et nous
bavardons. Comme tous les pakistanais qu'il m'a
été donné de rencontré
jusqu'à
lors, il semble très soucieux de l'image du Pakistan hors
les frontières du
pays. Effectivement, les récents attentats à
Bombay en Inde, les bombes qui
explosent régulièrement à Islamabad,
les enlèvements de touristes (surtout dans
les grands villes du pays, m'a-t-on dit), et enfin les
récentes incursions
Talibanes dans le nord du Karakoram ; les pakistanais ont
toutes les raisons
de se soucier de l'image de leur pays. Mais je lui explique que de mon
point de
vue, les occidentaux raisonnable savent pertinemment que les premiers
à souffrir
de cette situation chaotique, ce sont les habitants de la
région. Encore plus
que les malheureux touristes qui récemment encore ont fait
les frais de la
géopolitique du moment. Nous papotons de choses et d'autres.
Nous en venons
ainsi à la question existentielle de beaucoup de jeunes gens
ici : le mariage !
Eh bien, je lui dis que je suis divorcé et que
bientôt je me remarierais
« incha Allah », comme ils disent
ici. C’est histoire de clore le
sujet. J'ajoute également, comme ça pour
plaisanter, que j'envisage
sérieusement de faire mon choix au Pakistan. Oulla, il est
content ! Qu'est-ce
qu'il est content, il sourit jusqu'aux dents ! Mohamed quittes le train
quelques station avant moi. Lahore est une ville bruyante, polluée et la nourriture y est infecte, au sens premier du terme. Disons que mon état de santé était déjà limite. Là, je viens de passer quatre jours au lit, à dormir toute la journée, ma boite d’antibiotique à portée de la main. J’ai vraiment l’impression d’avoir dormi nuit et jour. C’est d’ailleurs clairement ce que j’ai fais. Le premier jour à été dur, très dur. Indigestion, douleur à l’estomac, ballonnements et… je passe sur les détails les plus trashs. Par contre, pour tous vous dire, je pense que mon organisme avait vraiment d’un tel repos. Mon cerveau lui, était parti sur sa lancée, motivé qu’il était de découvrir des régions aussi splendides que celle que j’ai vue jusqu’alors au Pakistan. Mon corps, à lâché d’un coup d’un seul ! Une fois remis, je prends quelques jours supplémentaires afin de finir mon enquête sur les enfants du Sida pakistanais. La situation semble préoccupante. Ici les autorités ne nient pas le problème, ils n’ont tout simplement aucune idée de l’ampleur de la pandémie dans leur pays. Et ils vous servent un discours démagogique, à souhait ! Cela dit, il m’apparait clairement que les choses sont moins dramatiques que ce que j’ai pu voir en Russie, ou ce que je m’apprête à découvrir en Inde : l’autre pays des enfants du Sida. L'arrière pays où il fait bon vivre, la région Pendjab Après ces trois semaines passées au Pakistan, je fais un dernier détour par la merveilleuse et non moins célèbre Karakoram highway. Cette route de montagne cabossée, tordue, non goudronnée, qui reste tout de même le symbole d’une collaboration réussie entre le Pakistan et la Chine, le grand voisin du Nord. Ce « détour » en bus me prend tout de même trois jours. Ce sera mon champ du signe au Pakistan. Aujourd’hui, nous sommes le mercredi 7 janvier 2009, un chiffre porte bonheur s’il en est ? Je viens de passer la frontière indo-pakistanaise à hauteur de la ville d’Attari, tout près d’Amritsar et de son magnifique temple d’or ! Le lieux de
naissance de Guru Nanak : Aujourd’hui
chers lecteurs, chers amis, chers famille qui me manque, soyez
témoin du fait que mon pari a été
réussi ! J’avais promis de traverser,
pour les enfants du Sida, l’Europe et l’Asie par la
Terre, sans jamais voyager
par les airs. Aujourd’hui, c’est chose
faites !!
PS :
je suis en
ce moment en Inde, tout se passe bien. La richesse,
l’humanité des rencontres
et de l’accueil qui m’est
réservé, ne cessera-t-il donc pas de
m’étonner !? Sami Battikh est ici
à Delhi, il m’a rejoins afin que nous
tournions le second volet du documentaire à propos des
enfants du Sida. J’ai
également appris
hier soir que la femme de Kanat, notre ami Kazakh et
président de l’association Protect
children against AIDS, vient de mettre au monde une adorable
petite jeune
fille, la sœur d’Aourjan
et Baourjan.
Cela ne peut qu’ajouter à mon bonheur ! Le dessin réalisé par l'un des enfants dont s'occupe l'association Pakistanaise de protection des enfants séropositifs et de leur famille, à Lahore. Il y a écrit : "Mon père est séropositif; je veux le voir en bonne santé" Vous pouvez dors et déjà consulter la page du Blog dédiée à mon retour à Paris ici, l'IMCA | 2009 Retrouvez la suite du blog dédié
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